Les entretiens annuels d’évaluation (EAE) sont-ils indispensables ?
Ils ne sont pas obligatoires. La loi n’impose pas leur mise en place au contraire de l’entretien professionnel devant se tenir tous les 2 ans.
Ils sont souvent décriés, remis en question, considérés comme un dispositif obsolète, très chronophage et qui n’apporte rien. On lit qu’ils ont été supprimés chez Google, IBM, DELL, Accenture, …
Beaucoup d’entreprises pourtant y restent attachées.
Faut-il les maintenir, y mettre fin, les repenser ?
Sa raison d’être et ses intérêts ne sont plus à démontrer si l’on écoute d’autres voix.
Il permet de mettre en évidence le travail réalisé, les résultats obtenus, le niveau de maîtrise des savoir-faire, les axes de progrès ; de réfléchir aux difficultés rencontrées, à ce qui peut être mis en place pour faciliter le travail, le rendre plus efficient mais aussi plus satisfaisant ; d’améliorer le dialogue entre le manager et ses équipes ; d’évaluer les besoins de formation ; de mieux comprendre les aspirations et les potentiels ; …/…
Force est de constater qu’il ne tient pas forcément ses promesses et qu’il est souvent vécu comme une contrainte par les principaux concernés…
Nous observons que dans beaucoup d’entreprises, de nombreux managers et collaborateur.trice.s vivent l’entretien annuel comme une formalité obligée (voire redoutée) et peu utile dont ils se passeraient volontiers.
Les services RH sont encore souvent obligés de redoubler d’efforts et d’imagination pour que le taux d’entretiens réalisés soit satisfaisant.
Lorsque le taux de remplissage des formulaires est bon, les bénéfices réels, tant pour les managers que pour les équipes, sont assez loin de ceux annoncés. Les situations n’évoluent guère d’une année sur l’autre.
D’où vient cet écart d’appréciation entre ceux qui le vantent et le préconisent et ceux qui le pratiquent ?
La « relation évaluative » (1) prédomine. C’est de notre point de vue la cause principale des insuccès.
Pour que les bénéfices évoqués plus haut deviennent une réalité il faudrait que l’entretien soit focalisé sur l’évaluation de la situation de travail et non sur celle de la personne. En d’autres termes, il devrait viser une analyse la plus objective possible de tout ce qui peut diminuer l’efficience et le bien vivre son travail, de tout ce qui serait à améliorer pour développer la performance et la qualité de vie au travail : le mode de management en place, les moyens mis à disposition, l’impact d’autres acteurs, les compétences du collaborateur ou de la collaboratrice, …
Ledit ou ladite collaborateur.trice, ne devrait être qu’un des facteurs étudiés pour chercher à optimiser les résultats visés. Ceci au même titre que les conditions et l’environnement de travail, le soutien hiérarchique, l’ambiance, les leviers de la motivation, etc. Ni plus, ni moins.
Or si on regarde de près la plupart des déroulements d’entretiens et les supports utilisés, certes on aborde les difficultés rencontrées, on demande à la personne de s’exprimer mais ce qui prime, ce qui apparait comme essentiel est son évaluation : a-t-elle réalisé son travail ; ses objectifs sont-ils atteints ; ses compétences et son savoir être sont-ils au niveau demandé ?
Au final il s’agit d’identifier sur quels points le, la collaborateur.trice est conforme aux attentes et sur quels autres, il, elle doit progresser.
Cette relation évaluative où le manager est censé évalué la personne avec qui il travaille (et non la situation de travail) empêche un véritable dialogue, une réflexion commune. Elle est fréquemment stressante tant pour celle ou celui qui évalue que pour l’évalué.e.
Le manager, soucieux de préserver ses relations futures avec son équipe peut dès lors avoir intérêt à éviter de parler de ce qui ne va pas. D’autres, se sentant le devoir d’évaluer la personne, craindront qu’une posture d’écoute et d’échange destinée à étudier la situation de travail, soit perçue par leur entreprise comme un manque d’autorité. Soucieux de démontrer leur affirmation, Ils seront alors dans l’argumentation, dans un « vouloir convaincre » et non dans la mise en commun, l’analyse, la co-réfléxion.
L’évalué.e risque d’opter pour ne pas trop parler de ses difficultés et de ce qui nuit au travail. Ceci pour éviter d’être perçu comme celle ou celui qui se plaint, qui soulève les problèmes et pour préserver une appréciation positive de sa hiérarchie.
Bien d’autres déviations liées à la relation évaluative, rendent quasiment impossible un échange serein, une mise à jour réelle de la situation de travail, une réflexion objective et partagée sur ce qui pourrait être amélioré.
Sa suppression est-elle la réponse à ses défaillances ?
Nous ne le pensons pas. Il s’agit plutôt de le repenser, de le réorienter.
Sous certaines conditions, l’EAE s’avère être un dispositif fort efficace pour que se développe la collaboration, l’intelligence collective, l’agilité, l’amélioration continue, la performance et la qualité de vie au travail.
Parmi ces conditions et pour n’en citer que trois :
- l’entretien ne doit pas être qu’annuel. Il peut y avoir un bilan annuel mais qui doit s’appuyer sur des points réguliers où le manager soulève cette question « comment ça va le travail ? »
- Il doit passer de l’évaluation de l’individu à l’évaluation des situations de travail.
- sa forme la plus répandue aujourd’hui est entièrement à revoir (support, déroulement, postures, suivi).
Il deviendra alors très vite un moment attendu tant par les équipes que par les managers.
(1) : Claude Lemoine, professeur de psychologie sociale à l’université de Rouen – Traité de psychologie du travail et des organisations.